article publié dans Le Monde daté du 18 décembre
article publié dans Le Monde daté du 18 décembre
Suite à la publication du rapport Olivennes, les internautes lecteurs de Rue89 se sont lancés dans une polémique à travers des commentaires parfois très violents.
Le prix du disque physique est souvent brandi comme l'argument ultime pour justifier le téléchargement illégal mais les chiffres sont souvent fantaisistes.
Ci-dessous un tableau de la composition moyenne du prix d'u CD de variété française commercialisé par une major. Ce tableau et d'autres données sont disponibles sur le site du SNEP
Frais d'enregistrement | 2.9% |
Salaires musiciens | 5.9% |
Coût de fabrication | 11.9% |
Coût de marketing/promotion | 25.4% |
Rémunération des auteurs compositeurs | 9% |
Rémunération des artistes interprètes | 15.5% |
Rémunération des autres ayants droit (producteurs, réalisateurs, etc.) | 7% |
Coût de structure | 21% |
Provisions d'exploitation | 4.1% |
Perte d'exploitation | -2.7% |
Il faut noter qu'il s'agit d'une moyenne et que tous les albums ne sont pas voués à perdre de l'argent.
Par exemple, les 15,5% de la ligne Rémunération des artistes interprètes ne correspond pas à un artiste inconnu. Même chose pour les 25.4% de coût de marketing/ promotion.
je réitère mon invitation à regarder l'émission Ce soir ou jamais de Frédéric Taddéï au cours de laquelle Bertrand Burgalat explique la réalité du marché du disque en moins d'une minute sans que même Denis Olivennes ni trouve à redire.
si on combine les effets supposés de Guitar hero 3 et le principe de la long tail, on peut aller loin dans l'exploration des discothèques des plus de trente ans !
Dans la note PORTE AVION, j'avais évoqué le rôle des majors et, plus précisément, pourquoi les contraintes financières imposées par leurs actionnaires allaient réduirent leur champ d'action artistique, laissant ainsi plus de place aux indépendants.
L'illustration de cette analyse vient de nous être donnée par Rémi Godeau du Figaro.
Dans un article intitulé La major EMI veut mettre ses artistes au pas, Rémi Godeau nous rapporte la "vision" de Guy Hands, le patron d'EMI/VIRGIN, sur les artistes : "Sans citer de noms, Guy Hands assure qu'il est prêt à lâcher les artistes trop paresseux qui, contrairement au plus grand nombre, « ne pensent malheureusement qu'à négocier pour obtenir une avance maximum, avances qui souvent ne sont pas honorées en retour »".
Autre moment de poésie concernant les directeurs artistiques : "Autre cible : les directeurs artistiques. Instauré depuis plus de vingt ans, leur système de rémunération « n'encourage pas les bons comportements et ne récompense pas les actions justes », poursuit le spécialiste du rachat par endettement. En clair, les cadres d'EMI sont payés sur chaque contrat signé, que l'album finisse en tête du box-office ou fasse un flop. Des départs sont donc attendus."
Un peu plus loin on peut également lire : "À l'occasion d'une récente conférence à Cambridge, le directeur général de Terra Firma [le fond d'investissement qui a racheté EMI] avait expliqué que son métier consistait à dénicher, avant de les redresser, des entreprises en mauvais état dans les domaines les plus chamboulés. Il avait ajouté : « EMI, notre dernier investissement, est un cas classique. » Les analystes constatent, eux, que le rachat par endettement est intervenu juste avant la crise du crédit et qu'il faudra donc tailler plus qu'escompté dans les coûts pour rentabiliser l'opération."
Peut-on être plus clair ?
Les suites de l'affaire Radiohead donne l'occasion de lire, sous la plume de Samuel Laurent (lefigaro.fr), une déclaration de Guy Hands, PDG de la maison EMI/ Virgin, qui déclare : «L'industrie de la musique a depuis trop longtemps été dépendante du nombre de CD vendus. Plutôt qu'adopter la numérisation l'industrie s'est mis la tête dans le sable. Les actions de Radiohead constituent un avertissement auquel nous devrions répondre avec énergie et créativité».
Si cet aveu de faiblesse - bien que tardif - est louable en soit, il appelle quelques commentaires.
Premièrement, voire dans l'initiative de distribution numérique de Radiohead "un avertissement", révèle un cas d'amnésie profond. Il faut donc rappeler à Mr Hands qu'avant Radiohead, d'autres artistes, et non des moindres, ont tiré des coups de semonce. Paul McCartney a signé avec Starbuck Coffee Music, Nine Inch Nail a diffusé des titres sur le net sans l'autorisation de sa maison de disque, et Prince a distribué gratuitement son dernier album via un titre de presse. Depuis, Madonna a tiré une nouvelle fois sur l'ambulance en signant avec un tourneur plutôt qu'une maison de disque.
Deuxièmement, il est à craindre que les décisions stratégiques, financières et managériales prises depuis le début de la crise n'aient sérieusement endommagé la machine.
Sur le plan stratégique, si les discours alarmistes qui visaient à obtenir une nouvelle baisse de la TVA ont échoué, ils ont eu pour effet pervers de faire fuir les élèves des grandes écoles et autres créateurs de tous poils qui sont maintenant autant attirés par le secteur du disque que les mouches par le vinaigre…
A ce problème des temps futurs, s'ajoute celui du temps présent. Avec des effectifs réduits de moitié en quatre ans (les effectifs d'Universal Music France sont passés de 450 à 250, ceux d'EMI/ Virgin de 500 à 300 et la fusion de Sony avec BMG s'est soldée par le licenciement de près de 200 personnes) et une pression tous les jours plus forte sur les résultats financiers, l'ambiance n'est ni aux investissements ni à la créativité.
Question posée à Mr Hands : on fait comment ?
Une analyse objective de la crise du disque montre que les éditeurs n'ont jamais travaillé concrètement sur le renforcement- voire le simple maintien - du réseau des disquaires indépendants contrairement à ce qu'ont fait leurs confrères du livre avec la création de l'ADELC en 1988. Pire. En accordant aux grandes enseignes de l'hyper distribution des remises commerciales élevées afin de favoriser la mise en place des produits à rotation rapide (compilations et autres Best of), les maisons de disque ont fourni les munitions qui ont servi à déclencher une guerresdes prix entre grandes enseignes, guerre des prix dont les premières victimes furent les disquaires indépendants.
Aujourd'hui, alors que ces mêmes éditeurs du disque crient haut et fort que c'est la notion même de musique payante qui est en danger, CBNews nous apprend ce matin que c'est Universal Music, premier éditeur au monde et 40% de parts de marché en France, qui s'associe avec Casino (actionnaire majoritaire de Cdiscount) pour donner de la musique et des places de concert contre l'achat de lessive ou de boites de pâté pour chats !
Dans un article du Figaro sur l'Affaire Radiohead (voir plus bas), un responsable européen d'un label déplorait : "C'est un coup dur. Si un des meilleurs groupes du monde ne veut plus de nous, je ne sais pas quelle place il nous reste dans l'industrie musicale."
Dans les stocks peut-être ?
Le groupe Radiohead, a annoncé que son prochain album sera disponible à partir du 10 octobre, en deux formats (discbox et version téléchargeable) sur son site Internet uniquement. Plus fort encore. Le prix de la version téléchargeable sera fixé par… le client lui-même, libre à lui de payer cet album 10 cts. Vous avez bien lu.
Après la décision de Prince de distribuer gratuitement son album en Angleterre via le Daily Mail, c'est la deuxième bombe qui explose au nez des majors en moins de six mois.
Ces artistes sont-ils devenus fous ? Nullement. Bien au contraire, ce sont des visionnaires.
Il ne faut pas perdre de vue un premier élément. Si le marché du disque va mal (-40% en cinq ans) celui de la musique va bien. Les concerts sont pleins, les droits de synchro augmentent, le téléchargement payant représente 7% des ventes de disques, les recettes liées à la diffusion des œuvres perçues par la SACEM sont passées de 595 en 2000 à 757 millions d'euros en 2005 et… il se vend encore des disques.
Radiohead et Prince, font donc le pari qu'une très large diffusion de leur musique leur permettra de toucher un très large public qui achètera des billets de concert, les disques précédents, les éditions collector, du merchandising etc.
Mais au-delà de l'aspect purement commercial, ces artistes ont compris que les nouveaux moyens de distribution leur permettent d'organiser leur business comme ils l'entendent, de s'affranchir ainsi des diktats des majors, des grandes enseignes de distribution ou des sites de téléchargement comme iTunes. Cette expérience leur permettra également d'inverser les rapports de force dans le cas d'une négociation avec une maison de disque pour la commercialisation du CD dans le monde entier.
Sans même parler de l'énorme promotion dont bénéficie déjà un des albums les plus attendus de l'année, cette démarche de franc tireur est une preuve supplémentaire que de nouvelles pistes de commercialisation de la musique peuvent être explorées (voir note mix marketing & mix distribution) et que le rôle des majors se réduit de plus en plus à la logistique, jusqu'au jour où même ce rôle sera remis en cause.
Il reste encore 4 majors. Jusqu'à quand ?
Début juillet, le magazine Technikart rachetait Trax , le magazine des musiques électroniques. Ce micro événement rapporté par Augustin Scalbert sur le site d'information Rue89, donne l'occasion de faire un point, avec sang-froid, sur la situation de la presse musicale en France. Avec sang-froid, car c'est une chose de déplorer la reprise d'un titre par un groupe de presse plutôt que par sa rédaction, c'en est une autre que de déclarer : "Le groupe Cyber Press Publishing, laminé par la concurrence d'Internet et des gratuits".
En réalité, la presse musicale dans son ensemble n'a jamais dépassé le stade de l'amateurisme éclairé et n'a jamais été capable de se transformer en entreprise viable sauf à de très rares exceptions qui confirment la règle.
Ces titres ne disposant pas de moyens suffisants, ils se limitent généralement à relayer l'actualité du moment avec plus ou moins de bonheur suivant les facilités de contact que les maisons de disque leur accordent ou pas avec les artistes en période de promotion.
Un rappel. L'économie de tous les titres de presse écrite grand public repose sur le principe d'une double source de revenu ; les ventes au numéro (en kiosque ou par abonnement) et les recettes publicitaires. Pour bénéficier des bonnes grâces des annonceurs, il faut vendre beaucoup (> 100 000 ex/ mois) ou être considéré comme prescripteur auprès d'une population spécifique.
En France, si on s'arrête au principal critère pris en compte par les annonceurs (la diffusion payée établie par l'OJD), on constate que les ventes des différents titres de presse musique ne sont pas suffisantes pour attirer les grandes marques (distribution, automobile, banque etc.). Alors? Alors la presse spécialisée vivote sans qu'Internet n'y soit pour grand chose, comme le prouve le nombre de titres disparus corps et âme bien avant que 20 millions d'internautes français ne surfent sur la toile avec une connexion haut débit.
En réalité, le premier coup fatal porté à la presse en général est la Loi Evin qui, en 1991, interdisait la publicité sur le tabac et l'alcool. Ces secteurs qui dépensaient des sommes colossales dans la promotion de leurs produits auprès des jeunes ont disparu des pages des magazines, certains titres perdant jusqu'à 30% de leurs recettes.
Leurs chiffres de diffusion étant trop faibles pour intéresser les grands annonceurs, il ne reste plus aux titres spécialisés qu'à se tourner vers les annonceurs spécialisés, principalement les maisons de disque. Mais les éditeurs, comme les grands annonceurs, sont intéressés par les médias puissants. S'ils se montrent très intéressés pour qu'un titre spécialisé consacre un article à un de leurs artistes (crédibilité), ils le sont nettement moins pour acheter de la pub. Et les titres de presse spécialisée survivent tant bien que mal pour finir par disparaître après avoir été racheté et avoir tenté des re-lancements à grand coup de "nouvelle formule avec un CD gratuit".
En fait, les éditeurs, tous secteurs confondus, font avec les médias spécialisés comme avec la distribution, ils privilégient les acteurs les plus puissants sans penser à maintenir un tissu qui leur permettraient de préserver une certaine diversité. Certains ont même créé leur propre titre à la gloire de leurs artistes, comme Universal music qui a créé BUZZ , un magazine distribué gratuitement chez les disquaires, dans les fac…
D'un côté, les majors (90% de part de marché et des investissements publicitaires) tenues par leurs actionnaires à des retours sur investissement très importants n'investissent pas (ou peu, très peu) dans des outils de niche.
De l'autre, des indépendants aux faibles moyens qui préfèrent essayer des dispositifs du type "street marketing" ou "guerilla marketing".
Les coûts liés à la fabrication et à la distribution étant, en France, particulièrement élevés, la presse spécialisée est donc vouée à vivoter ou à disparaître.
Restent les autres supports/médias dont la diffusion sur Internet change le rayonnement mais qui vont devoir créer des modèles économiques qui leur permettront d'exister à côté des Myspace et autre Youtube.
Tout un programme.
A quoi sert une major ? A rien. Des artistes ont tourné des films, écrit des livres, enregistré des chansons avant que n'existent Universal, Editis, ou Sony, et le public a su transformer en best sellers les albums de Johnny, les livres de Gérard de Villiers ou La Grande Vadrouille bien avant que n'existent la pub télé, les têtes de gondoles et les multiplexes.
Les majors ne sont qu'une des résultantes de la massification des marchés, des holdings commerciales et logistiques conçues pour peser d'un poids suffisant dans les négociations commerciales face aux chaînes de distribution qui se sont constituées dans les années 60.
Des actionnaires ont misé sur l'émergence des marchés culturels et ont donc agrégé des catalogues pour devenir aussi puissant que possible.
Les résultats de cette course à la taille critique sont sans appel. Il faut savoir que la part de marché des quatre (4) majors du disque est de 90%, ou encore que dans le secteur du livre Editis et Hachette Livre réalisent à eux seuls 40 % du chiffre d'affaire des 200 premiers éditeurs. De leur côté, les cinq plus grosses enseignes de l'hyperdistribution vendent en France, 70% des vidéos, 60% des CD et 20% des livres. La logique est donc respectée.
Est-ce à dire que sans major point de salut ? Pas tout à fait, mais il est clair que pour négocier l'exposition de ses produits chez Carrefour, mieux vaut bénéficier du savoir-faire et de la puissance de négociation d'Universal par exemple.
Paradoxalement, la situation n'est pas sans espoir pour les indépendants. Au contraire.
Tout comme les gros ont du mal à se baisser pour lacer leurs chaussures, les majors sont maintenant trop grosses et trop affairées à améliorer leur rentabilité pour dénicher les nouveaux talents. Or, sans nouveaux artistes pas de renouvellement, donc usure des catalogues. Les majors sont donc condamnées à faire du développement en faisant de la croissance externe...
Imaginez un porte avion ancré à quelques encablures d'une côte. Si une flottille de petites embarcations ne les alimentent pas en produits frais et en eau, au bout d'un moment, même long, tout le monde se jetera à l'eau. Les majors fonctionnent comme un porte avion et les producteurs indépendants doivent se faire payer à prix d'or le service de ravitaillement qu'ils offrent aux majors. Pour ça, il faut qu'ils fassent briller leur production afin d'attirer les convoitises.
Un seul exemple. Le label Tôt ou Tard, créé en 1996 au sein du groupe Warner par Vincent Frèrebeau, est indépendant depuis 2002. Pour acquérir cette indépendance Frèrebeau a racheté à Warner les 50% que détenait la major. Aujourd'hui, Universal propose de racheter ces mêmes 50% quatre fois le prix racheté à Warner. Que s'est-il passé en cinq ans qui justifie cette bascule ? Frèrebeau, a développé son catalogue, l'a rendu plus riche de quelques réussites commerciales et d'artistes en devenir.
Cet argent peut permettre à un producteur d'investir dans un plus grand nombre de projets ou d'allouer des moyens supplémentaires à tel ou tel projet de développement ou…
Dans le cinéma, les grands opérateurs qui prennent position sur le marché naissant de la VOD, font à leur tour miroiter des offres qui donnent parfois le tournis aux producteurs indépendants et le secteur du livre est lui aussi le théâtre permanent de la course "aux petits".
S'il est entendu que l'indépendance n'est pas pour autant nimbée d'une aura artistique au dessus de la moyenne, les indépendants ne doivent pas faire de complexes ni se perdre dans des combats d'arrière-garde mais se concentrer sur le développement de leur catalogue en ne perdant pas de vue que le pouvoir est aussi entre leurs mains.
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